Le continent africain est en train de se diriger au pas de course vers la gestion de ses villes où cinquante pour cent de sa population devraient habiter en 2035. Cet engouement pour les villes reflète notre difficulté à planifier notre gestion d’une population qui continue de s’accroître. Cette relation entre nos villes et villages ne s’est pas inscrite dans une économie circulaire, laquelle aurait pu non seulement continuer à développer des pôles multiples dans nos pays respectifs, mais aussi imaginer des modes de développements au-delà des frontières respectives.
Nous nous devons de repenser notre espace rural pour résoudre ce problème que nous avons accepté comme une partie intégrante de notre présent et notre futur. Nos zones rurales continuent de représenter cinquante pour cent de nos citoyens à travers nos pays. Nous ne pouvons imaginer un futur urbain sans intégrer des solutions qui transforment cet exode rural en un flux économique qui ne stagne pas en zone urbaine. L’objectif en lui-même n’est pas de contraindre le mouvement, il est plutôt de maintenir un équilibre entre les villes et les villages pour que le choix des individus ne se limite plus à cette quête d’un eldorado citadin qui n’existe plus. Et n’a peut-être jamais existé puisque non durable.
Nous savons que la croissance de la population mondiale, plus particulièrement dans les villes, est un défi sans précédent. Les
9 milliards d’habitants de la planète en 2050 requièrent un accroissement de la production agricole de 70 % qui devra venir de l’Afrique et des autres pays dits pauvres. Sans une révolution des mentalités qui engendre un meilleur investissement dans l’agriculture africaine, il n’y aura pas de sécurité alimentaire mondiale.
Pour changer notre perception de ce monde que nous devons réinventer, nous nous devons de mettre en place des fondamentaux empruntés à l’idée d’une économie circulaire. Dans ce modèle, nous intégrons les différentes composantes de l’économie pour que chaque étape tienne compte de nos compétences respectives le long de la chaîne de valeur de nos produits, issus de nos zones rurales. Ainsi, nous nous efforcerons de lier notre quête pour la transformation socio- économique de notre continent aux besoins réels de nos populations, qui ne devront pas juste faire le chemin en sens unique dans l’espoir de trouver une aubaine pour subvenir à leurs besoins ou de vivoter, sans pouvoir contribuer au grand chantier de transformation structurelle de nos économies.
Créer une organisation circulaire pour engendrer une plus grande contribution de tous est un défi auquel nous devons apporter des réponses. Si nous voulons rester compétitifs dans la transformation de nos pays, la solution ne peut qu’être dans l’industrialisation et la création d’emploi, afin de trouver un juste équilibre entre les villes et les campagnes. Nous ne pourrons pas résoudre nos problèmes en continuant à ne pas créer de mécanismes permettant aux productions agricoles de nos campagnes de fournir des revenus continus et non cycliques. Ainsi, avoir de nouvelles exigences pour répondre aux besoins des individus implique une transformation économique inclusive.
Il est possible d’imaginer que la production de cacao de la Côte d’Ivoire et du Ghana se base sur le modèle d’une économie circulaire. Tout le long de la chaîne de valeur de cette fève, nous développerons des mécanismes pour récolter, créer de la valeur ajoutée, recycler et développer les compétences nécessaires pour créer des emplois sur toute la longueur de sa chaîne de valeur en réduisant les déchets tout au long du cycle de vie du produit. Repenser notre mode de fonctionnement et de vie sans intégrer une
solution environnementale met à mal la pérennisation de toute transformation structurelle. La continuité implique la conception de cycles ne s’arrêtant pas brusquement avec le départ des fèves, mais intégrant emplois et opportunités dans une chaîne de valeurs qui n’éjecte pas l’agriculteur une fois sa production vendue.
Le vrai potentiel rural consiste à coupler notre croissance démographique avec des emplois pour les 15 millions de jeunes Africains qui arrivent sur le marché du travail chaque année. Notre promesse de progrès et de changement s’est heurtée à une myopie accentuée par les cours des matières premières. Nous sommes embarqués sur une ligne continue vers l’exportation de nos ressources minières et agricoles sans pour autant mettre un accent particulier sur le pilier qui permettrait de conserver une indépendance alimentaire. Nos campagnes regorgent de millions de petits agriculteurs qui survivent. Les riches terres africaines continuent de produire à la sueur du front dans un monde mécanisé, avec un accès limité, voire inexistant, aux moyens financiers qui font du progrès une oasis dans des zones non désertiques.
Repenser l’intégration de nos zones rurales dans un mode de production circulaire est possible. Aucune alternative n’est viable, car nous concentrons nos ressources dans nos villes. Nous avons le devoir pour nos générations et celles à venir de cesser de faire partie du problème. Une manière de le gérer est de remédier au manque d’investissement dans l’agriculture sur un continent dominé par le secteur informel, ce qui pourrait limiter la migration sans option réelle vers les villes. Cependant, nos politiques ne se sont pas adaptées pour créer des emplois le long de la chaîne de valeur de nos produits nationaux ou régionaux. Ainsi, nous nous sommes cantonnés dans des modèles qui ne donnent pas les moyens financiers aux communautés de sortir de cet engouement pour les villes. La vision du mieux-être et des possibilités se confond avec un échec palpable par l’incapacité à gérer un exode ou une démographie galopante concentrée autour de villes inadaptées aux besoins de populations qui n’ont pas la clé de leur contribution à nos économies. Leurs compétences inexploitées dans l’agriculture ne peuvent se traduire en métiers potentiels dans nos villes.
Si nous voulons changer cette dynamique pour la transformation de l’Afrique, nous nous devons de mettre en place des mécanismes pour extraire les iniquités de notre système actuel. Ce clivage sans lendemain entre les pôles complémentaires que sont nos villes et nos villages a favorisé un rejet de la valorisation des ressources mêmes qui ont permis de construire nos villes. Ainsi, nous avons traduit nos politiques dans les termes d’un mouvement marchand, comme ces fèves, fruits, ou légumes qui partent à l’exportation, sans pour autant redistribuer la valeur ajoutée, quasi inexistante en zone rurale. Cet exode humain et financier empêche la majorité d’imaginer ce que nos villes deviendront sans nos villages.
Nous avons investi massivement dans la santé et l’éducation, avec des résultats qui donnent à réfléchir. Que serait devenue l’Afrique rurale et urbaine si nous avions favorisé des investissements massifs pour l’industrialisation de l’Afrique dans une vision régionale, puis continentale ? Les infrastructures auraient suivi cette marche effrénée vers le progrès humain. Il n’est pas trop tard, car nous pouvons insérer notre vision africaine de ce que l’Afrique sera dans le concert harmonieux de ses populations, dans un monde qui a besoin d’une Afrique forte qui utilise ses propres ressources pour bâtir son présent. Nous ne pouvons y arriver sans transformer notre agriculture en permettant à une agricultrice de ne plus utiliser ses mains ou la houe pour atteler la terre quand le processus de mécanisation n’est plus une innovation. Se nourrir convenablement est un investissement de base que nous avons sacrifié aux importations sans résoudre les problèmes de chômage massif qui tuent notre développement. L’Afrique ne peut faillir à la nécessité d’une autosuffisance alimentaire.
L’Afrique n’a pas encore pleinement exploité son potentiel rural. Le continent ne peut plus se résumer en contrastes entre ses villes et ses villages, sa jeunesse et ses vieillards, car nous avons tous une partition à jouer dans cette harmonie. Cependant, il se peut que nous soyons en constante divergence au vu de notre incapacité à générer un dialogue intergénérationnel sur la nécessité de coexister dans un monde qui nous appartient. Il est temps, grand temps de mettre notre énergie au service de notre continent.