Pour Assia Sidibé et Carl Manlan, les Etats du continent devraient explorer de nouveaux mécanismes de financement de leur propre développement.
Tribune. Sur le continent africain, les funérailles donnent souvent lieu à un élan de générosité. La communauté se retrouve autour de la famille éplorée et lui apporte un soutien financier, parfois considérable, pour pallier au manque de revenus. Ce mécanisme culturel fondé sur la solidarité panafricaine est une sorte d’assurance communautaire. Ainsi, existent déjà au sein de nos communautés des moyens permettant de soutenir la résilience des plus vulnérables.
Que deviendrait l’Afrique si nous appliquions ce même principe pour soutenir sa transformation ? Il est d’autant plus important que les ressources individuelles y servent la cause collective, que de nombreux pays n’ont pu, malgré de forts taux de croissance, permettre une création de richesses qui donne des opportunités aux plus vulnérables. La question de la croissance inclusive pourrait bénéficier de la mise en place de mécanismes de mutualisation, car une partie de la population africaine et de sa diaspora a des ressources qui pourraient accélérer la marche vers le progrès pour tous sur le continent.
Une décision historique
Ainsi, la mobilisation de financements innovants pour la transformation du continent africain est cruciale. La communauté internationale s’essouffle, dans un contexte où le chemin vers la prospérité du continent africain leur semble brumeux, alors même que leurs ressources sont détournées vers d’autres priorités. En réalité, la communauté internationale ne peut plus financer le développement du continent. L’Union africaine, la communauté de 55 pays africains chargée de promouvoir l’unité, la solidarité, et le développement, en est bien consciente.
Les chefs d’Etat et de gouvernements de ses pays membres se sont engagés en 2016 à mettre en place une taxe de 0,2 % sur les produits d’importation éligibles pour financer le budget de fonctionnement de l’Union, ainsi que son budget programme et celui de ses opérations de la paix. Les démarches permettant la mise en œuvre de cette décision historique ont débuté dans une vingtaine de pays. La taxe devrait contribuer au budget de l’Union à hauteur d’un milliard de dollars (880 millions d’euros) si elle est appliquée par les 55 pays de l’Union africaine et permettre de financer intégralement les budgets annuels de l’Union.
Pour cela, il faudrait que l’ensemble de ces pays accélère le processus national pour son application. A ce jour, le budget de l’Union africaine – environ 700 millions de dollars (quelque 616 millions d’euros) en 2019 – reste financé à 59 % par la communauté internationale, à l’image de certains pays africains, dans lesquels près de 60 % des budgets nationaux sont financés par les partenaires internationaux.
La mutualisation des ressources
Les pays réticents ou peu convaincus peuvent s’inspirer des progrès de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), qui finance son budget grâce à une taxe communautaire de 0,5 % des marchandises importées des pays tiers hors Cédéao. Aujourd’hui, après vingt ans de mise en œuvre, le financement extérieur ne représente pas plus de 15 % de son budget de fonctionnement. C’est une avancée significative, malgré les arriérés de paiement de nombreux pays.
En complément de la mise en place de taxes communautaires, dont l’acceptation et l’applicabilité seront dans les faits longues et difficiles dans certains pays membres de l’Union africaine, la mutualisation des ressources pourrait être utilisée comme un mécanisme financier supplémentaire. Mise à contribution, une partie du 1,2 milliard d’Africains et membres de la diaspora pourrait investir pour le présent et épargner pour les générations futures. Les innovations technologiques en matière de canaux de distribution financiers sont une opportunité. Les Africains sont parmi les premiers utilisateurs du « Mobile Money » par exemple. Mais pour y arriver, notre volonté individuelle doit s’inscrire dans la durée comme un don intergénérationnel vers une prospérité partagée pour tous.
Ainsi, en février 2019, lors du sommet des chefs d’Etat de l’Union africaine, tous les regards seront tournés vers Addis-Abeba, la capitale éthiopienne où se trouve le siège de l’institution panafricaine. Dans le climat international actuel, marqué par des poussées nationalistes assumées dans de nombreux pays, il serait sage que les Africains sortent de la dépendance à laquelle ils sont si habitués et qu’ils explorent de nouveaux mécanismes de financement du développement. Nous ne pouvons attendre la mort de l’Afrique pour devenir les plus grands donateurs à nos propres funérailles. Un chemin semé d’embûches, mais surmontable, reste donc à parcourir.