Il y a un peu plus de vingt ans que la possibilité de venir à Montréal pour y étudier s’est présentée à moi. Mais la vie en a décidé autrement. Ainsi, c’est avec un sens réel de curiosité que j’ai accepté l’invitation de L’ENAP et de l’association des étudiants pour venir échanger des idées sur le leadership et l’action collective.
Le chemin vers Montréal, jusqu’à cette semaine a été détourné par deux événements qui à priori n’avaient rien à voir avec mes aspirations académiques. Mon père qui était médecin travaillait à Brazzaville au Congo. La transition politique du pays a forcé son bureau à être délocalisé à Harare au Zimbabwe. Durant cette année 1997, la possibilité de devenir un citoyen Africain prend forme avec pour direction l’Afrique Australe au début de l’année qui suit. Ayant grandi en Afrique francophone de l’ouest, très peu dans mon parcours académique m’expose à cette partie de notre vaste continent. L’idée de découvrir le Zimbabwe ne m’emballe pas nécessairement mais la possibilité de passer une année ou plus avec mon père me convint de quitter Abidjan et de débuter cette aventure intellectuelle dans une partie anglophone de l’Afrique.
Mes premiers mois sont difficiles car je dois m’adapter à ce nouveau contexte ou la la couleur de la peau est une question existentielle importante. Venant de l’Afrique de l’ouest, je n’avais jamais eu à me définir par la couleur de ma peau ou encore moins à affirmer que je suis Africain, ayant adhéré à l’idée de Wole Soyinka que le tigre ne chantait pas sa tigritude. Cependant, la question raciale devenait à 19 ans une question à laquelle je devais me confronter et commencer à me définir vis-à-vis des autres mais aussi dans une langue étrangère. Mon niveau d’anglais était acceptable dans un contexte francophone mais pauvre dans un contexte où les subtilités de la langue deviennent extrêmement importantes. Ainsi, l’anglais est devenu une façon pour moi de m’intégrer dans le récit contemporain de l’Afrique et dans sa diversité. Car j’ai compris que l’anglais m’ouvrait sur une grande partie de l’Afrique et que ne pas le maîtriser serait un handicap personnel et professionnel.
Après mon année au Zimbabwe, j’ai continué mes études dans la ville du Cape en Afrique du Sud. Je suis arrivé en Afrique du Sud au moment où le Président Thabo Mbeki lance le projet de renaissance Africaine avec le soutien de ses pairs Algériens et Nigérians. Étudiant en économie et finance, je suis au cœur d’un changement important de la politique de l’Afrique du Sud pour l’Afrique. Montréal, ne m’aurait pas donné cette opportunité en y pensant avec du recul. Ceci n’est pas une critique du système éducatif mais une interpellation sur l’importance de s’ouvrir sur le monde et d’en tirer les éléments nécessaires pour son propre apprentissage dans une vision collective d’imagination de ce que ce que nos efforts communs peuvent accomplir pour les générations futures.
Mais que vaut cette experience académique si elle ne peut être au service des autres? Mon père a perdu sa vie pour une meilleure santé en Afrique. Du bas de mes 22 ans, et du haut de ses 52 ans, j’ai ressenti à l’annonce de sa mort, un sentiment d’inachevé qui ne pouvait être achevé que par le travail et la foi qui m’ont permis de trouver sur mon chemin de bons samaritains.
C’est ainsi qu’en 2004, à la fin de mes études en économie et en finance, j’ai saisi l’opportunité de travailler sur l’initiative de l’organisation mondiale de la santé 3 million de personnes sous anti-rétroviraux en 2005. Puis avec le Fonds mondial de lutte contre le sida la tuberculose et le paludisme pendant 3 ans. Durant ces trois années, j’ai appris loin de ceux qui recevaient les traitements les modèles de financements qui servaient a repenser l’aide au développement. N’étant pas satisfait de ma compréhension, je suis parti à Kinshasa pour apprendre auprès de la société civile et des personnes affectées ce que ce changement représentait pour elle.
Je me souviendrai toujours de cette dame qui m’interpella sur le manque d’inclusion de la nutrition dans le programme du PNUD qui distribuait les médicaments. Elle était séropositive mais le traitement ne suffisait pas à lui donner une condition humaine nécessaire à son rétablissement. Je continue à m’interroger sur le bien fondé des financements qui dissèque le corps humain pour sauver la vie sans pour autant apprécier qu’une vie sauvée d’une maladie tropicale négligée, par example, peut être atteinte par le paludisme ou tout autre maladie qui pourrait ne recevoir aucun ou très peu de financement national ou international.
Ainsi, cette problématique et bien d’autres sont des questions de leadership. J’ai eu l’immense honneur de bénéficier de la bourse de la Fondation Mo Ibrahim qui m’a permis de mieux comprendre le rôle des institutions africaines dans la transformation de l’Afrique. Cette année fut donc ma transition vers les institutions africaines avec une conviction renforcée du besoin de service public au sens propre du terme avec des personnes compétentes travaillant à l’intersection du public, du privé et de la société civile. D’Addis Abeba à la commission économique pour l’Afrique à la Fondation Ecobank en passant par l’Agence de Développement de l’Union Africaine, j’ai appris que j’avais un role à jouer sur le continent Africain en gardant en ligne de mire le transfert de compétences entre générations.
Aujourd’hui j’ai la responsabilité de repenser comment une institution financière contribue au développement du continent en ayant un impact social. Cette investissement passe par exemple l’ouverture de l’académie de la banque aux secteur public et de la société civile.
Aussi, je continue à m’interroger sur les politiques publiques Nous savons qu’en Afrique, deux-tiers de la population vit en zone rurale. Elle est majoritaire, mais cette Afrique urbaine connectée au reste du monde jouit du labeur de l’Afrique rurale sans contribuer véritablement à son développement. Et ceci est une problématique que nous nous devons de résoudre si l’objectif est de transformer nos économies pour tous et pas seulement pour une minorité citadine. Ainsi, la majorité de l’Afrique vit dans le cercle vicieux de la pauvreté car elle n’est pas connectée au monde, n’a pas accès aux financements, n’a pas accès à la santé, n’a pas accès à l’éducation et son taux de natalité reste élevé. Dans ces conditions, il est illusoire de penser que les populations rurales continueront de subventionner la vie de cette minorité urbaine au fruit et à la sueur de leur labeur. En effet, les paysans africains du fait de leur production de matières premières permettent à nos économies de maintenir un système de rentiers qui bénéficient des exportations de noix de cajou, café, cacao et j’en passe. Ainsi, nous ne pouvons exécuter une action collective si la répartition des bénéfices perpétue un cercle vicieux d’exclusion.
La santé demeure l’un des piliers fragiles de cette marche vers le progrès pour tous. Permettez-moi de prendre pour exemple, les maladies tropicales négligées. Nous savons que ces maladies affectent les populations en zone rurale. Les médicaments nécessaires pour l’éradication sont donnés gratuitement par les compagnies pharmaceutiques. Mais dans le monde, il y a 1,5 milliards de personnes qui continuent à souffrir de ces maladies et en majorité des femmes et des filles. Le coût par personne par année varie entre 50 et 20 centimes de dollars américains. Éradiquer ce groupe de maladie est une action collective qui devrait nous interpeller à travailler ensemble et non chacun de notre côté pour notre bien être à tous.
Mais pour y arriver, nous devons avoir des données fiables qui reflètent la réalité de la majorité des africains. En l’absence de ces éléments de base, le travail de l’administrateur publique relève de l’approximation et nuit à l’objectif principal de transformer la vie des citoyens avec des politiques appropriées et qui relèvent du réel et pas de l’incertitude.
Pour mieux gérer cette incertitude, ma volonté d’apprentissage continu me permet de garder les pieds sur terre car chaque étape est une opportunité pour moi d’apprendre et de contribuer. Car sans cette quête continue du savoir, le leadership devient un titre ronflant dénué d’objectif ou purpose comme disent les anglophones. Bien sûr qu’il y a eu des erreurs de parcours comme un incident diplomatique au Bénin en 2012. Mais je retiens de ces erreurs le soutien conditionné et la fermeté de ceux qui croient en mon potenitel.
Pour finir, je tiens à remercier Tatiana avec qui la recherche de solutions pour un monde meilleur a été le point d’entrée devient le point d’entrée d’une relation bâtie sur l’échange du savoir et des connaissances. Ainsi, ma présence ici parmi vous est intimement lié à cette capacité de garder en ligne de mire, cette vision collective de ce que le monde pourrait être quand les passerelles du savoir n’ont pas de frontières.
Je vous remercie.